Témoignages

Voici ce que quelques-uns d’entres nous, confrontés à la disparition d’êtres chers, disent de cette expérience. Ce qu’ils ont éprouvé, compris ou appris de ce passage, ce qu’ils ont accepté de partager, de donner à entendre à nous tous, susceptibles de rencontrer cette mort qui fait si intimement partie de nos vies.

« Ce témoignage m’amène à faire le point sur les deux deuils que je suis en train de vivre : celui de ma mère, décédée de la maladie d’Alzheimer il y a dix-neuf mois et celui de mon père, décédé il y a cinq mois, quatorze mois jour pour jour après elle. »…

« C’est vrai que le deuil est un vrai travail intérieur, comme un long cheminement dont on ne connaît au départ ni le tracé, ni la durée. Un deuil c’est personnel. Il n’y a pas de deuil identique. J’ai découvert aussi qu’il n’y avait pas d’échelle de la douleur. Cela dépend de chacun. »…

« C’est vrai qu’il faut une sacrée énergie pour effectuer ce travail de deuil. Ce qui m’a aidée et qui m’aide encore dans mon travail de deuil, c’est d’être entourée, écoutée, reconnue comme quelqu’un en deuil, qui a besoin de s’épancher sans qu’on lui fasse des remarques. J’ai appris à progresser à mon rythme. A chaque fois je me suis sentie comme en convalescence et j’ai accepté d’aller à mon rythme et non au rythme des autres. Certaines personnes croyaient bien faire en me conseillant de reprendre très vite des activités. Je les ai laissé dire mais j’ai fait comme je l’entendais. J’ai accepté aussi de laisser venir mes larmes quand le cafard était trop grand. »

Françoise

« C’est une enfant de 10 ans et demi qui vient me voir un matin de février. Elle est triste, le visage fermé et sa mère qui l’accompagne m’explique l’objet de sa venue : « Vanessa bégaie beaucoup en ce moment et c’est même de pire en pire. »…

« Vanessa, interrogée sur l’origine de son trouble, hésite, puis au bout d’un court instant, se met à pleurer à chaudes larmes et à sangloter. »…

« C’est Tommy, mon chien, il est mort, il a été empoisonné ». Alors Vanessa me raconte qu’un soir, en rentrant de l’école, elle retrouve Tommy malade, la visite chez le vétérinaire qui préfère le garder… Puis l’annonce de la mort de son chien… Le retour de son père avec un sac poubelle… Le sac poubelle dans la brouette… L’enterrement au fond du jardin… Elle ne sait où… L’empoisonnement par la voisine… Son mari très malade… Le chien aboyait beaucoup… La plaie est ouverte, le flot s’écoule, un flot empreint de tristesse, de souffrance, de peur, de rancoeur et de haine. »…

« Je la revois la semaine suivante, Vanessa est rayonnante. Elle a pu mettre en oeuvre le rituel évoqué. Elle a écrit à son chien, demandé à son père où celui-ci se trouvait, y a planté une croix et y a enterré la lettre »… « Vanessa ne bégaie plus ».

Claudine

« Au petit matin du 28 mai 1983, à l’age de 22 ans, je mettais au monde mon premier enfant tant attendu depuis ma petite enfance »…
« Le lendemain, montrant de grands signes de détresse, Bruno est évacué dans un centre hospitalier sans que je le revoie, le pédiatre me l’ayant déconseillé… Après une erreur de diagnostic et plusieurs tentatives de réanimation, Bruno rendait son dernier souffle le dimanche 29 mai à 17 heures, jour de la fête des Mères, des suites d’une septicémie foudroyante. »

« Mes amis se sont détournés de moi. Pensant bien faire, le sujet était systématiquement évité malgré mes nombreuses tentatives pour partager mon chagrin. Mes parents eux-mêmes, trop en peine de me voir tant souffrir, ne savaient comment m’aider. Le « mal-être » s’est installé pendant des années ; psychothérapies et arrivée de deux autres beaux bébés ne l’ont pas chassé. La tristesse et l’angoisse étaient présentes, souvent enfouies mais prêtes à jaillir et à me submerger. »…

« En 1990, mon fils Hugo, alors âgé de 4 ans, nous a tout simplement ouvert les yeux sur la réalité. Il nous a dit : « mais puisque Bruno est perdu, où s’est-il perdu ? ». Et oui, la langue française est parfois bien significative ! Nous disions effectivement que nous avions « perdu » notre enfant. J’ai alors réalisé (7 ans après) que je l’avais vraiment perdu, même pas enterré, ni posé une seule question sur ce qu’il était devenu : je l’avais laissé partir sans savoir ni où, ni comment (cela, avec le recul me paraît incroyable !). Après des recherches, nous avons retrouvé l’endroit où ses cendres avaient été répandues et nous l’avons enterré dans le caveau de famille du petit village de mes grands-parents. C’était un jour merveilleux ; je retrouvais ce fils perdu. Je le reconnaissais ; il était né, puis était mort, mais il n’était pas disparu, ni abandonné, il était là. »

« Mon « travail » de deuil n’était pas pour autant terminé. Grâce à un groupe de soutien mutuel dans l’association E.K.R. France, durant l’année 95-96, j’ai pu, 13 ans après sa naissance, dire à mon fils : « Je t’aime ». J’ai passé une année avec lui comme un dernier au revoir, dans le bonheur d’être ensemble. J’ai enfin pu, grâce à ce travail en profondeur sur soi-même qu’engendre le groupe de soutien mutuel, comprendre la signification de ce trop bref passage de Bruno dans mes bras. »

Sophie

« François. Tu as quel âge  ?

– 12 ans
– Je crois que tu as déjà vécu de nombreux deuils dans ta vie …
– Oui, mon père, mon grand-père et deux petits cousins
– Ton père est mort tu avais quel âge ?
– Huit ans
– Est-ce que tu peux nous parler de ton père ?
– Il s’appelait Patrick ; il vivait chez ma grand-mère ; il était boxeur. Je faisais beaucoup de sport avec lui, de la boxe. Il était très généreux
– Tu as écrit un poème pour ton père, que tu as lu le jour de ta barmitza le mois dernier. Pourquoi as-tu écrit ce poème ?
– Pour dire à ceux qui étaient là, à mes potes, que je n’oublierai pas mon père, que je continuerai ma route et sa route. Je ne veux pas qu’on l’oublie.
– Ton père est mort il y a quatre ans. Tu te souviens comment tu l’as appris ?
– J’étais chez ma grand-mère et puis ma mère est venue dans ma chambre et elle m’a dit : « ton père était très malade » et puis j’ai compris et après elle m’a dit : « il est mort ». Voilà
– Qu’est-ce que tu as fait ?
– Ben, j’ai pleuré
– Et après, comment ça s’est passé, juste après ?
– Je travaillais plus à l’école. Je faisais plus rien. Je me battais tout le temps… Voilà
– Pourquoi tu te battais ?
– Parce que j’étais énervé déjà ; j’étais pas heureux
– Comment ça s’est passé avec les professeurs ?
– Mal
– Est-ce que tu leur as dit que ton père était mort  ?
– Non
– Pourquoi  ?
– Je sais pas. Parce que je voulais pas me plaindre
– Et tes copains, ils le savaient ?
– Non
– Donc à l’école, personne ne savait. Tu m’as dit qu’un jour un garçon a mal parlé de ton père et tu l’as frappé. Tu lui as cassé un bras et tu as été renvoyé une journée. Ensuite le garçon est venu te voir. Tu peux en parler ?
– Il m’as dit : « Pourquoi tu m’as frappé comme ça, pour juste un truc ? » et j’ai dit : « Ben mon père, il est mort et t’as pas à en parler comme ça ». Après, il s’est excusé
– Tu m’as dit aussi que tu te battais parce que tu voulais te venger. Tu voulais te venger de quoi ?
– Ben, de la mort de mon père
– Tu avais la rage ?
– Oui
– Et comment tu voyais les autres garçons autour de toi ?
– Comme des gamins
– Pourquoi ?
– Ils n’ont jamais rien eu de grave dans leur vie, voilà
– Tu as donc l’impression que toi, avec ce qui s’est passé, ça t’a fait grandir plus vite ?
– Ça m’a endurci… le caractère
– Avec tes cousins, comment ça se passe ? Ils te comprennent ?
– Oui. Ce sont des cousins germains, donc c’est pareil
– Est-ce que ça t’est arrivé de pleurer avec eux ?
– Non
– Pourquoi ?
– Eux, ils pleurent mais pas moi, je suis le dur de la famille
– Par rapport à ta famille, comment ça s’est passé ?
– Ils en parlaient tout le temps. Donc, après, à l’école, je ne pensais qu’à ça, c’est pour ça que je travaillais mal. Tout le temps on pense à ça, on ne s’occupe que de ça. Quand on fait quelque chose, on laisse les choses à part et on ne pense plus à son père
– Qu’est-ce qu’il te disaient les adultes ?
– Ils disaient : « Ton père était bien » des trucs sur mon père qui était bien
– Ils te posaient des questions ?
– Ouais, je ne pensais qu’à ça
– Entre les profs qui n’étaient au courant de rien et ta famille qui t’en parlait beaucoup, qu’est-ce que tu penses qu’il aurait fallu pour que tu te sentes mieux ?
– Ben que ma mère elle aille voir les profs et qu’elle leur dise : « Il faut pas trop bousculer F. parce que son père, il n’est plus là »
– Maintenant, après pas mal de rebondissements dans ta scolarité, tu as changé d’école, tu te trouves dans un collège qui est pour des enfants qui ont eu un parcours de vie difficile. Comment tu te sens dans cet internat ?
– Bien, parce qu’on a tous eu les mêmes problèmes. Y’en a qui ont perdu leurs parents, les profs qui ont des problèmes dans leur vie
– Et avec eux, tu peux parler ?
– Oui
– François, tu as vécu des choses qui étaient difficiles, tu as vécu la mort de quelqu’un que tu aimais. Tu vois, il y a ici des gens qui travaillent avec les enfants. Est-ce que tu penses que c’est différent quand on est un enfant de vivre ça ?
– Oui, c’est différent parce que les grandes personnes peuvent comprendre. A huit ans, on ne comprend pas très bien. On se dit : « Pourquoi mon père ? ». On ne peut pas comprendre pourquoi la personne est morte, alors que les grandes personnes, elles, peuvent savoir
– Et au niveau des larmes, de ta tristesse, c’est pareil ?
– Ouais. Ça dépend du caractère, suivant si on est fort ou pas. Quand quelqu’un meurt, on est triste ; qu’on ait six ans ou qu’on ait cent ans, c’est la même chose. »

François